LE CORPS DES BÊTES, Audrée Wilhelmy (Grasset)

Osip se refuse à sa nièce. Il ne lui montrera pas comment « faire le sexe des humains », même s’il ne voit pas trop qui pourra le lui enseigner sur le rocher qu’ils habitent avec le reste du clan. Il n’a pas pitié de Mie. Elle appartient à cette plage qu’il observe depuis la plateforme du phare où il passe ses journées. Seuls l’intéressent les bateaux étrangers et la femme de l’aîné. Celle-ci n’a ni la pudeur de la Vieille, ni les manières des femmes qu’il a croisées jadis à Seiche. Son frère l’a engrossée dès son arrivée à Sitjaq, mais qui s’en soucie ? Sur ce bout de terre rocailleux, les bêtes sont à qui les prend.


▬ LE CORPS DES BÊTES
AUDRÉE WILHELMY
GRASSET
200 PAGES
7 MARS 2018
CONTE, RELATIONS, FAMILLE, TABOUS 




Le Corps des bêtes. Second roman que je lis d’Audrée Wilhelmy. Si j’avais moins apprécié les Sangs de part une histoire trop floue (bien que la plume ait enchanté mon amour des mots), je comprends à présent que l’atmosphère est la trame à suivre dans les romans de l’auteure. Quelque chose de terrifiant, pesant, qui s’insinue entre les pages, serpente sous les mots. 

Le Corps des bêtes.

C’est un regard braqué sur une famille ; les Borya. Dégénérescence des engeances. Une grand-mère (La Vieille). Noé (la fille sans bavardage). Osip (l’oncle à l’œil hagard des corps féminins), et Mie (la singulière, l’enfant se faufilant sous le derme des bêtes). Une fresque familiale, un puzzle qui se compose, se décompose. C’est l’orchestration de leurs vies sur un caillou, une terre désertique mais bordée d’eau, de cette terrifiante qu’ils n’abordent pas. L’eau est leur limite, la signalétique d’une fin de monde. Où sont-ils ? Quelle époque ? L’auteure dissémine des indices, trace un chemin pour mieux le désaxer, proposer un autre itinéraire. Des noms jalonnent la lecture : Triglav, Nan Mei. Côtes québécoises ou bordure d’une ile égaré aux contrées asiatiques ? Qu’importe la localisation. Seule compte l’hostilité des lieux. 

Le corps. Un mot qui revient, devient relent. Il est le sujet principal, le personnage central de ce livre qui oscille entre conte et fresque d’apocalypse. Le corps, c’est avant tout Mie. La petite est en lisière de l’adolescence, en proie aux mutations de sa chrysalide enfantine. La crainte du changement se caractérise par sa volonté à fuir dans le corps des bêtes. Observer les autres plutôt que subir sa propre chair. Elle devient tantôt héron, parfois ours. L’œil se fait avide de ce qu’elle ignore encore, de ce qu’elle souhaite partager avec l’oncle ; le sexe des humains.  

Corps à prendre.
Corps à dépiauter.
Corps charpie.
Corps en découverte.

Le corps s’entremêle à la sexualité, aborde le féminin, la violence de l’autre. Le corps est réceptacle de tous les maux – mots. Car l’auteure déploie son vocabulaire tranchant, sans tabou. Serpe aiguisée qu’elle manie avec élégance, ne conçoit pas le dégout, peut-être l’étonnement, la curiosité, ou l’interrogation mais jamais l’ignoble crasse ne s’injecte sous sa plume.  

Un roman où l’histoire est à trouver au delà des conventions.
S’imprégner de l’atmosphère et en ressortir poisseux mais avide d’une prochaine aventure noire. 



Note : ★★★★☆


‣ le clin d'oeil au mythe de Salomé. Les éléments disséminés à travers le roman et rappelant le triangle amoureux.
‣ l'évocation de différents tabous sans jamais tomber dans quelque chose de vulgaire. C'est parfois abrupt, violent mais vraiment plaisant à lire.


‣ Toujours cette absence de "véritable" histoire, même si ici, ce n'est pas vraiment un point négatif, plutôt un regret.



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